Le Flog - Cultures et actualités politiques

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Les enfants et Internet : ce que révèlent les pratiques philosophiques

Alors que la plupart des enfants sont de plus en plus plongés dans l’univers digital, à l’école ou à la maison, alors que la majorité des adolescents utilisent un smartphone plusieurs heures par jour, la pratique de la philosophie leur offre l’opportunité d’ouvrir le débat : quelle est la place des écrans dans leur vie ? Contrairement à l’image positive véhiculée par les médias, les enfants expriment massivement leurs souffrances. Que pouvons-nous en comprendre ? Réflexion à partir d’ateliers menés dans la métropole bordelaise, par l’association Philosphères, auprès d’écoliers et de collégiens et présentée lors du colloque international « Philosophie pour/avec les enfants dans l’école et hors de l’école », organisé à Bucarest, les 28 et 29 octobre 2022 par l’Université de Bucarest. Un article publié en novembre 2023 dans la revue Diotime,Revue internationale de la didactique et des pratiques de la philosophie,
n°94, à lire ici

Lanceurs d'alerte : héros, déviants ou sentinelles de la démocratie ?

SOMMAIRE

 Introduction : Danièle Henky & Nadine Willmann Lanceurs d’alerte entre héroïsme et déviance

 I. les lanceurs d’alerte en action : hérauts de la vérité ou voix dans le désert ? 

Olivier Hanse Robert Jungk, lanceur d’alerte anti-nucléaire, défenseur précoce des whistleblowers (1970 -1980)

 Anne-Marie Pailhès Rudolf Bahro, une figure du lanceur d’alerte ? 

Nadine Willmann Deux lanceuses d’alerte dans le domaine médical en Allemagne : héroïsme ou trahison ? 

II. représentations fictionnelles d’ un personnage paradoxal

Elena Di Pede Les prophètes bibliques, des « lanceurs d’alerte » avant la lettre ? 

Danièle Henky Représenter le lanceur d’alerte en littérature de jeunesse : un nouvel avatar du héros ?

Isabelle Rachel Casta Paranoïa, dissociation et schizophrénie : Faut-il être fou pour être lanceur d’alerte ?

III. cadrage de la déviance et limites de l’alerte 

Jacqueline Bouton Le lanceur d’alerte, nouvelle génération. 

Jules Samson Nyobe Le lanceur d’alerte, nouvelle figure du panoptisme ? 

Edouard Schalchli & Florence Louis Vraies alertes, fausse parole

Conclusion Jean Jauniaux La quatrième chaise Bibliographie

bondecommande

Giono politique : rencontre le 25 novembre

Rendez-vous samedi 25 novembre à la Maison Garbay à Luglon, pour un débat autour de la décroissance, dans le cadre du festival Alimenterre. Invité : Edouard Schaelchli, pour son dernier livre, Giono Politique, paru aux éditions Les Acteurs du savoir.

Ci-dessus : recension dans le journal La Décroissance, octobre 2023

Ci-dessous : recension dans le journal Marianne, 31 août au 6 septembre 2023

L'industrie du complotisme, rencontre à Bordeaux avec Mathieu Amiech

"Ce livre est marqué par l’expérience de la gestion techno-autoritaire du Covid-19, durant laquelle toute contestation de la version officielle des événements était disqualifiée comme complotiste. L’auteur considère à la fois que la diffusion de théories complotistes et réductrices dans la population est une réalité et un problème ; et que l’anti-complotisme est une stratégie de neutralisation du débat public par les dirigeants et une grande partie de la presse. Le complotisme est un résultat direct de la perte de contact avec la réalité induite par la numérisation de nos vies quotidiennes, l’addiction du plus grand nombre aux réseaux sociaux, etc. Il est aussi alimenté par le nihilisme des oligarchies (industrielle, politique, médiatique…), qui assument de plus en plus l’appauvrissement des populations et la destruction de la vie sur terre, pour maintenir «quoi qu’il en coûte » le système économique en place. Ce n’est pas une raison pour approuver la tournure d’esprit complotiste. Mais c’est une bonne raison d’affronter les questions que le complotisme soulève, afin de les réinscrire dans une perspective de lutte pour la liberté et la justice sociale."

Rencontre avec l'auteur le dimanche 8 octobre à 17h30, suivie d'une auberge espagnole à 19h30 salle de la cheminée à l'Utopia. Entrez, libres !

Célébrer Ivan Illich

Nous avons le plaisir de vous inviter à nous rejoindre, le dimanche 16 avril prochain à l’occasion d'une rencontre publique du Cercle des lecteurs d’Ivan Illich au restaurant La guillotine, 24 rue Robespierre à Montreuil.

Nous nous retrouvons à midi autour d'un buffet. Ceux qui le souhaitent pourront présenter leur contribution orale à l'assemblée, tout l'après-midi jusqu'au soir.

A l’occasion des vingt ans de la disparition d'Illich, plusieurs thèmes sont d’ores et déjà retenus :

  • le contrôle social, avec Silvia Grünig-Iribarren,

  • la lecture au lycée, à la lumière Du visible au lisible,  avec Alfons Garrigos et Ignace Schot

  • Energie et équité, avec Thierry de Bresson

  • Illich dans le sillage d'Arnold Toynbee, avec Edouard Schaelchli

  • la vieillesse créatrice, avec Florence Louis.

D'autres s'ajouteront peut-être. Tous donneront lieu à discussion.

pour 2023...

 

Participation au Colloque international « Philosophie pour/avec les enfants dans l’école et hors de l’école »

Philosphères participe au Colloque international « Philosophie pour/avec les enfants dans l’école et hors de l’école », organisé à Bucarest, les 28 et 29 octobre 2022 avec une communication proposée par Florence Louis, « Les enfants et internet : ce que révèlent les pratiques philosophiques », samedi 28 octobre, 9h/9h30 (temps européen). Le colloque est à retrouver en ligne sur le site de l’Université de Bucarest.

Retour sur les ateliers à visée philosophique menés depuis plusieurs années à Bordeaux et dans sa métropole, avec le soutien de l’Agence régionale de santé, la Ville de Bordeaux (DSU, Bordeaux Sud), Bordeaux métropole (Les Juniors du développement durable) l’Etat (ANCT Politique de la Ville), la CAF, le département de la Gironde.

Article à lire en ligne dans le numéro 94, novembre 2023 de la revue Diotime

Abstract

Children and the Internet : what philosophical practices in school reveal
Key words : Internet, children, boredom, anguish, education, sexuality
« At a time when almost all the children are increasingly plunged in the digital world, at home or at school, when the majority of teenagers is using a smartphone several hours per day, practising philosophy with them offers opportunity to open the debat about the place of screens in their life. Contrary to the positive image that is promoted by the mass media, children express massively their suffering : they feel loneliness, they deplore adults’ attitudes to screens, they are full of fears fed by what they find in the Internet, some of them have chronic fatigue and insomnia…
In front of what Manfred Spitzer call Digital Demenz, they are able to lead a philosophical reflection much more free than their olders : why are we so dependent and how should we respond ? Children understand that there are leaks between anguish and boredom, between emptiness and wholeness, betwwen desire and lack (cf. Martin Heidegger, Giorgio Agamben). However, even if most of them share that they are prisoners of a digital environment, only those which have the possibility to get out and play outside can establish the link between freedom and Nature (cf. Bernard Charbonneau, Thierry Paquot).
The access to pornography and violence constitutes a worrying blind spot in the new situation : as the very foundation of cultures all around the world is the separation between children and adults with regards to sexuality, Internet submit children to tentation to transgress prohibition : it only takes one click and they can enter without any ritual initiation to the heart of orgiastic chaos. That’s why the subject of hell is recurring in children discussions about the Internet.
This contribution aims to launch the debate on the switchover thanks to the philosophical practives which allow to gather children’s opinions and testimonies. »
• Florence Louis, founder association Philospheres (Bordeaux, France), practices philosophy for children for 2015, graduate of the University of Sorbonne, Paris, (France), where she earned a Masters of moral philosophy and a masters of Political Philosophy. Author (2020 ; 2022).
• Association Philospheres (Director) , Association Aquitaine Bernard Charbonneau Jacques Ellul (President), Carrefour Ventadour (Vice-présidente)

Des mots dans les arbres 7ème édition

Rendez-vous début juillet à Bordeaux pour un voyage poétique à travers l'univers du jeune Saint-John Perse ! Un spectacle conté pour tout âge, à partir de 6 ans, suivi d'ateliers philo et arts plastiques, gratuits, dans le cadre de PARTIR EN LIVRE !

Han pasado, par Edouard Schaelchli et Florence Louis

Réflexions sur l’orien

Réflexions sur l’orientation fasciste de la société techno-libérale de croissance

Le chef naît quand le fascisme est devenu nécessaire. Mussolini paraît lorsque les temps sont révolus et si ce n'était pas Mussolini, n'importe quel général ou industriel emporterait l'affaire. Le chef ne vient au monde que parce que la mentalité générale du public exige ce chef, réclame ce héros dans lequel elle veut s'incarner. Le fascisme n'est pas une création du chef mais le chef une création de la mentalité préfasciste. Le chef est là en somme pour concrétiser des aspirations parfois encore inconnues de la foule - et c'est ce qu'il faudra comprendre lorsque je parlerai de la démagogie du fascisme. Il n'est pas question d'un homme qui veut un monde de telle façon et sur telle mesure - mais d'un homme qui s'applique à réunir en lui tous les lieux communs que la foule accepte, qui catalogue toutes les vertus que le public demande et qui, par là, prend un pouvoir, un ascendant sur lui. Un état d'esprit commun antérieur au fascisme est une condition sine qua non du fascisme. Jacques Ellul, 1937

La raison ne demande pas, n’accepte pas l’obéissance. On ne commande pas au nom de la raison comme on commande à la manœuvre. Il n’y a aucune armée de la raison, aucuns soldats de la raison, et surtout il n’y a aucuns chefs de la raison. Il n’y a même, à parler proprement, aucune guerre de la raison, aucune campagne, aucune expédition. La raison ne fait pas la guerre à la déraison. Elle réduit tant qu’elle peut la déraison par des moyens qui ne sont pas les moyens de la guerre, puisqu’ils sont les moyens de la raison. La raison ne donne pas des assauts ; elle ne forme pas des colonnes d’attaque ; elle n’enlève pas des positions ; elle ne force pas des passages ; elle ne fait pas des entrées solennelles ; ni elle ne couche comme le vainqueur militaire sur le champ de bataille. Charles Péguy, 1901

Nous aussi nous y pensons. Nous ne pensons même qu’à ça. Nous pensons, nous aussi, au fascisme comme on pense au pire, et nous ne voyons donc pas sans crainte et sans dégoût monter le flot d’une puissance qui ne s’avance si bien masquée sous les traits du libéralisme le plus protecteur que pour mieux s’implanter dans les esprits comme l’unique solution à tous les problèmes, l’unique réponse à toutes les questions. Sans doute, si Marine Le Pen et sa révolution prétendument nationale étaient passées, ce dimanche 24 avril 2022, nous aurions été tentés de dire, comme Ellul le soir d’un certain 10 mai 1981, « Non, vous dis-je, il ne s’est rien passé le 24 avril 2022 ». Nous l’aurions dit par provocation, peut-être, un peu, mais surtout pour souligner que nous n’estimions pas qu’une figure politique, même fondée sur une claire volonté politique d’éviter le pire, constituât en fait une véritable garantie contre le pire. Nous l’aurions dit, oui, parce que nous ne nous serions fait aucune illusion sur la capacité d’une personnalité politique, fûtelle la mieux intentionnée du monde, à revenir sur trente ans d’hypocrisie socialdémocrate et de dérive sécuritaire, comme cela, à simples coups de formules et de contremesures – sans se fonder sur une analyse sérieuse de ce qui fait le fascisme. 
Mais maintenant que ce n’est pas Marine Le Pen qui est passée, nous sommes au pied du mur, devant le même problème qu’il y a cinq ans, où il eût déjà été urgent de se demander, comme Ellul en 1981, s’il s’était alors vraiment passé quelque chose, et quoi, exactement. Et la réponse est là, qui s’impose : Oui, il s’est réellement passé quelque chose, ce 24 avril 2022, il s’est passé cela même qui s’était déjà passé cinq ans auparavant, le 7 mai 2017, à savoir que, dans un contexte d’abstention massive, un homme dont les classes populaires avaient toutes les raisons de craindre le pire et que rien ne distinguait si ce n’est son attachement viscéral au système libéral et son absence totale de scrupules, avait réussi à se faire passer pour l’homme de la situation – d’une situation marquée d’abord par la faillite totale du jeu démocratique et de toute illusion de progrès économique et social. C’était déjà bien le pire qui pût nous arriver, et c’est exactement le même pire qui nous arrive à présent, à cette différence près qu’à présent, après cinq années où tout a été fait pour masquer la faillite réelle et totale d’un système politique tout entier appliqué à occulter la faillite non moins totale et réelle du système économique qui le soutient, nous ne pouvons attendre de ce même homme, que toujours rien ne distingue si ce n’est son même attachement au système et sa même absence de scrupules, qu’une chose : qu’il achève de liquider une situation qu’il a contribué à verrouiller complètement dans le sens d’une ouverture totale aux forces du marché et d’une fermeture totale aux initiatives locales, populaires ou alternatives. Il ne suffit donc plus de penser au fascisme, il faut enfin penser le fascisme, non pas en tant que fantasme d’une classe politique (qui est aussi une classe d’âge, les babyboomers) à jamais embourbée dans son rapport à l’argent et au pouvoir, mais en tant que fait toujours possible parce que lié à des constantes de notre société que nous héritons d’un passé hélas loin d’être dépassé, d’un passé qui ne cesse de s’accrocher à notre présent, comme le lierre à l’arbre : celui d’une société dans laquelle l’État libéral n’a plus d’autre fonction que de soutenir une croissance économique sans laquelle il ne serait rien. Et pour le penser, ce fascisme réel, quoi de mieux que de revenir aux analyses qu’Ellul avait si nettement esquissées dès 1937 , en s’efforçant de réfuter l’idée rassurante d’un fascisme d’opérette qui se présenterait d’abord comme une doctrine à laquelle il suffisait d’opposer la saine doctrine d’un libéralisme politique plus ou moins teinté de social-démocratie ? 
Dans ce texte magistral, qu’on trouve intégralement reproduit sur le site des Amis de Bartleby, Ellul s’imposait la méthode suivante :
Il est donc bien évident que si l’on veut saisir le fascisme dans sa réalité, il ne faut pas le rechercher dans les constructions des intellectuels; à la rigueur peut-on procéder ainsi pour le communisme, mais le fascisme par sa nature même s’y oppose. Discuter de la valeur du travail ou de l’État totalitaire sur les bases que nous offre Rocco ou Villari, c’est discuter dans le vide, c’est faire œuvre inutile. Le fascisme ne s’étudie pas dans sa doctrine parce qu’il n’est pas une doctrine; il est un fait, produit de situations historiques concrètes. Il est sans intérêt de discuter des diverses formes sociales du fascisme, ou d’opposer en thèse pure fascisme contre libéralisme ou contre communisme, parce qu’il y a des forces qui dépassent ces mots, qui enchaînent les situations. Pour l’étudier, ne pas prendre des livres doctrinaires qui le rattachent à Sorel ou à Spengler, mais des statistiques, et la description froide d’une organisation technique. Il faut séparer le fascisme de toute idée parce que dans la réalité, il est ainsi séparé: nous allons voir qu’il a consacré cette scission définitive de la pensée et de l’acte, qu’il l’a utilisée. Si j’étudie par conséquent le passage du libéralisme au fascisme, je ne le ferai que dans les faits, sous l’angle de l’économie, de l’organisation politique, de la communauté, etc. 
 Il procédait ensuite à un examen rigoureux des faits qui, selon lui, faisaient du fascisme une conséquence logique de l’évolution nécessaire d’un libéralisme confronté à ses propres limites et contradictions du fait du double développement de la technique et de l’Etat : dirigisme économique et constitution d’une masse d’individus déliés de toute forme de solidarité organique au profit d’une organisation purement mécanique :

Pour qu’il y ait une masse, il faut donc qu’il y ait trois conditions réunies: un groupe d’hommes de conditions, nature, etc., divers – qui se font une représentation d’unité – mais que cette unité n’ait pas un caractère nécessaire de longue durée: à distinguer par conséquent de la foule, ou de la horde. La représentation concordante d’unité de tous les individus de la masse peut avoir des raisons très différentes: un intérêt commun, une situation économique ou sociale (groupe de chômeurs), un sentiment provoqué par le monde extérieur, soit de satisfaction, soit de mécontentement (foules du 6 février). On s’aperçoit alors qu’il faut distinguer entre les masses abstraites et les masses concrètes. Les masses abstraites sont celles qui reçoivent passivement des influences ou des suggestions de l’extérieur – influences et suggestions identiques pour tous. [...] Leur masse est effectivement abstraite, parce qu’ils ne conçoivent pas l’identité de leurs réactions, leur rôle consistant à ne plus être qu’un instrument récepteur et qui émettra à son tour certaines excitations; leurs représentations ne seront jamais qu’une prise de conscience de la masse et non pas une brisure de celle-ci. Seulement cette prise de conscience risquerait d’empêcher le passage de la masse abstraite à la masse concrète. Supposons en effet qu’il y ait dans la vie d’un individu, en succession ininterrompue, création et destruction de participation à des masses diverses (bureau, cinéma, café, journal, jazz); on verra se produire peu à peu une intégration complète de l’individu à ces masses successives – une solidarité mécanique naît. Si maintenant nous supposons qu’un tel individu reçoive une excitation suffisamment forte dans une masse quelconque pour passer à l’extériorisation, et par exemple à l’action, comme il est dans le même état que tous les individus qui font partie de cette masse très précise (lecteur d’un quotidien), tous les individus de cette masse répondront identiquement à l’excitation: même sans mot d’ordre individuel, tous les lecteurs de l’Action française se retrouveront à la Concorde le 6février. Poursuivons nos suppositions. Si tous les individus font partie de masses identiques qui occupent entièrement leur vie, si par conséquent, ils vivent dans un état de solidarité mécanique abstraite, et si ces individus reçoivent l’excitation nécessaire, ils réagissent tous dans le même sens, mais ce ne sera plus ici dans leur comportement d’un soir, ce sera une extériorisation globale dans leur vie même. Ils deviendront l’expression non plus d’une série de masses abstraites mais d’une série de masses actuelles, réalisées, concrètes qui s'appelle exactement le fascisme.

Où en sommes-nous, par rapport à ces faits ? Les conditions que décrivait Ellul, en France en 1937, n’étaient sans doute pas suffisamment remplies pour donner naissance, comme en Allemagne ou en Italie, à un authentique mouvement fasciste, mais elles n’ont cessé, depuis 1945 – et malgré les précautions prises par des classes politiques pour la plupart issues des mouvements de résistance ou tout au moins marquées par l’expérience de l’Occupation allemande – de se mettre en place à la faveur d’un développement économique et technique dont le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il favorisait l’émergence d’une mentalité hyper-individualiste et profondément perméable aux diverses formes de propagandes, du fait de l’emprise de moyens de communication capables d’entretenir constamment l’illusion d’une liberté inséparable d’un mode de vie totalement normalisé et intégrateur : le modèle de la croissance, en voie de mondialisation d’abord, puis, après l’effondrement de l’URSS, de plus en plus effectivement mondialisée. La disparition du monde paysan, puis des classes ouvrières, donnant naissance à une classe moyenne triomphante, a d’abord permis la transformation complète des sociétés dans le sens d’une homogénéisation grandissante des modes de vie et de pensée évidemment favorable à la constitution de masses d’autant plus faciles à manipuler qu’elles avaient perdu la plupart de leurs références culturelles. On s’est alors trouvé dans une situation objectivement analogue à celle qui, au début des années trente, a vu naître le fascisme. 
L’arrivée de Macron au pouvoir coïncide parfaitement avec le moment où ce modèle de croissance s’est trouvé confronté à ses limites internes et externes, liées d’une part à ce que Guilluy appelle « l’émergence des périphéries », avec l’éviction (mondialisée) du socle populaire de la classe moyenne , d’autre part au dérèglement climatique. Moment de crise généralisée (qui n’est pas sans rappeler la crise de 1929) où le dirigisme économique et politique constitue le seul recours possible contre une anarchie grandissante, dans laquelle s’opposent les tendances au désordre inhérentes au système (réseaux sociaux, anomie galopante, GAFAM et compagnie) et les initiatives populaires plus ou moins conscientes de la nécessité d’un changement radical. Elu de justesse en face d’une candidate clairement résolue à exploiter politiquement cette situation, Macron a pris nettement parti pour le système (dont il n’est qu’une émanation) contre toute forme de contestation globale ou locale et démontré que le libéralisme pouvait évoluer dans le sens le plus autoritaire qui soit, dans la ligne la plus droite allant du Patriot Act américain à l’état d’urgence antiterroriste pérennisé par Hollande et englobant toute forme de terrorisme policier, comme on l’a bien vu à l’occasion de la révolte des Gilets Jaunes. A la faveur d’une pandémie bien contrôlée (comme un virage), il a pu tester les capacités du système à engendrer des phénomènes de masses inédits qui se laissent facilement analyser en termes de mentalité préfasciste, au sens d’Ellul, à qui nous ne pouvons pas ne pas renvoyer à nouveau :

Et nous voici revenus en plein dans notre question; le fascisme se présente, au point de vue des formes de la sociabilité, comme une transformation des masses abstraites en masses concrètes à l’intérieur d’une solidarité mécanique. Mais c’est, après tout, la synthèse de ce que j’ai dit jusqu’ici: le libéralisme et l’individualisme préparent cette transformation par une création des masses abstraites et par une solidarité mécanique sans cesse plus poussée. L’on peut bien dire en effet que tous les libéraux se sont trompés lorsqu’ils ont cru que leur doctrine amenait à une plus grande prise de conscience de l’individu. Au lieu de voir l’homme, ils ont vu des schémas de l’homme et les doctrines se sont basées sur ces schémas. [...] Nous avons vu que la fonction extrême la plus développée d’une société mécanique est la fonction répressive. Or maintenant se développe, à la place de la fonction répressive, une fonction préventive. Au nom du sens commun, au nom du bien commun, au nom de la morale commune, on tend à créer le type d’homme commun (Homo rationalis vulgaris, dira-t-on dans le petit Larousse). [...] Cet homme idéal créé, on en répandra le type à toute occasion, par les énormes moyens de persuasion dont on dispose. Un million d’hommes ne peut pas avoir tort, déclare je ne sais plus quel savon à barbe. Vérités admises. Il suffit d’ouvrir un journal pour respirer cet air – courrier de la femme ou petites annonces de mariage. Le libéralisme a entraîné un amorphisme social probablement sans précédent dans l’histoire. Il a permis la création de ces masses abstraites dont je parlais tout à l’heure, de cette vie par masses et uniquement par masses – où la vie de l’homme se recouvre, d’une série de cercles qui se recoupent et qui absorbent totalement l’individu. Groupe du café et groupe du club, groupe du sport et groupe du métier. Il prend telle figure à telle place, et telle autre dans tel milieu. Il n’est plus lui-même, il est essentiellement l’homme social, obtenu par les moyens préventifs, celui dont la société n’a plus rien à craindre, qui ne peut au contraire que la stabiliser – c’est bien ce qui va arriver. Dans cette société néo-mécanique, le choc qui entraînera l’apparition des masses concrètes sera d’autant plus facile que l’amorphisme sera plus complet. Et de même, les notions de sacrifice et d’héroïsme seront d’autant plus facilement exaltées que l’individu aura perdu conscience de sa valeur. Le fascisme se présente, au point de vue social, comme un amorphisme mieux combiné, plus volontaire quel’autre état, libéral, mais du même ordre, appartenant au même type de société. 

Ainsi se trouvent remplies les conditions du fascisme, qui n’a nul besoin de doctrine, si ce n’est celle de l’utilitarisme le plus ordinaire, adapté aux besoins du jour : urgence terroriste, sanitaire, écologique – tout est bon pour la croissance. 
L’inédit, en ce qui nous concerne aujourd’hui, c’est que, pour passer du libéralisme au fascisme, il n’y a même plus besoin d’un changement brutal – d’une « révolution », fût-elle de palais. Le fascisme prospère au cœur même du libéralisme, sans transition : sous l’effet de n’importe quelle peur, l’immense majorité se mobilise en faveur des mesures les plus drastiques, accepte de voir ses libertés essentielles suspendues, et, comble d’ironie, dénonce comme fasciste toute entreprise prétendant représenter une issue. Mélenchon ou Le Pen : ils ne sont jamais que des résidus de ce qui autrefois constituait la politique. Le drame est que seuls les travailleurs (les 30/60 ans qui n’ont pas voté Macron en masse) réclament encore, de temps en temps, autre chose que ce qui s’impose comme l’inéluctable solution à tout. Il suffira, contre eux, d’invoquer l’urgence sanitaire, et ils iront, masqués jusqu’au cou, faire masse avec les vieux et les jeunes, « pour jouir de cet instant heureux où nul n’est plus » (Canetti, Masse et puissance, 1959).
  • Jacques Ellul, « Le fascisme, fils du libéralisme », Cahiers Jacques Ellul. Pour une critique de la société téchnicienne, n° 1, les années personnalistes, 2003, pp. 113-139.
  • Christophe Guilluy, No society, Flammarion, 2018
  • Elias Canetti, Masse et puissance, 1959.

« Déprimer »... ou se battre ? Pour un rasoir d’Ockham technologique

Je pense que nous sommes mis au défi, comme jamais auparavant, de prouver notre maturité et notre maîtrise, pas de la nature, mais de nous-mêmes. Rachel Carson, 1962

La scission de nos sociétés en deux se poursuit, d’un côté ceux qui suivent bon an mal an les directives de l’État même s’ils ont peine à croire encore en leurs bénéfices, de l’autre ceux qui affrontent l’adversité tragique, car ils l’ont reconnue comme telle. Dans les faits les uns ont droit à la vie d’avant, si et seulement si ils montrent patte sanitaire connectée. Les autres sont exclus des lieux de culture, des hôpitaux, des trains (à l’exception des TER), pour certains de leur travail ou d’une partie de leur activité professionnelle.
Heureusement le dialogue amical perdure parfois (souvent?) entre insiders et outsiders, et alors il est frappant de constater que les positions divergentes concernant la politique sanitaire ont des conséquences fortes sur l’état psychologique des uns et des autres. Contrairement à ce qu’entendait provoquer l’acharnement gouvernemental sur les « non-vaccinés » (manœuvre dans laquelle la France est un des Etats les plus zélés, même en comparaison d’affreux technophiles comme Israël), les plus malheureux ne sont pas ceux que l’on croit.
Car ceux qui ont plus ou moins docilement appliqué depuis deux ans les injonctions contradictoires de l’État (attestation de sortie/ zone de promenade / couvre-feu / télétravail / fermeture des écoles etc. / interdiction de célébrer les cultes religieux / interdiction de visite dans les EHPAD / interdiction de funérailles / application de traçage / appel à la délation / port du masque / vaccinations / jauges / protocoles d’hygiène / passe sanitaire / tests / passe vaccinal…), ceux qui se sont soumis quotidiennement au pouvoir des experts leur imposant pour leur bien des règles de vie nouvelles, ceux qui ont subi « le dressage du parc humain », se retrouvent pour une grande majorité d’entre eux, déprimés. Car il leur est finalement apparu évident que la logique à l’œuvre dépassait les justifications gouvernementales, qui fluctuent comme un serpent qui rampe en zigzaguant. Leur existence ne peut leur apparaître que profondément modifiée, soumise à des bouleversements incessants, survenus par à coups, et diminuant chaque jour un peu plus leur capacité d’exister en tant qu’humain.
Ce qu’ils pressentent, sans mordre pour autant à telle ou telle théorie du complot dont ils n’auront même pas le plaisir de sentir le vertige de la croyance, c’est que ce que en quoi ils croyaient jusqu’alors, en citoyens débonnaires du XXIème siècle, le smartphone à la main, est en train de s’effondrer sous leurs yeux. La perspective d’une société démocratique « dotée » d’« outils » technologiques « intelligents » se révèlent la plus grande arnaque que l’humanité se soit jamais tendue à elle-même. La Chine, avec son application WeChat qui réunit tout ce dont un Chinois doit avoir besoin pour vivre (et qui peut donc être suspendu d’un seul clic), fait figure de pionnière en matière de gestion numérique de la population. Et c’est bien ce qui nous effraie : en effet, dans quel sens vont tous ces bouleversements causés par ce que les média appellent « la crise sanitaire », sinon dans l’accélération vers ce que le G8 nomme la « 4ème révolution industrielle » ?
De manière très schématique, ce que nous constatons tous, anti et pro masques, vaccins, passes, c’est : toujours moins de relations charnelles (voir, entendre, toucher, sentir, goûter), toujours moins de rencontres, toujours moins de lieux, toujours moins d’argent liquide… et toujours plus de numérisation et de traçage des échanges qu’ils soient intellectuels, affectifs, « culturels », monétaires… Ce que les politiques sanitaires tout autour du globe ont en commun c’est l’orientation vers la multiplication des techniques d’organisation sociale, au mépris de ce qui fait de nous des vivants : la spontanéité, la gratuité, les sens, la pensée, l’imprévisible, l’élan, la retenue, la relation entre un Je et un Tu uniques, la parole porteuse de sens, l’indicible… C’est le bond en avant dans cette irrépressible avancée contre l’humanité que nous sentons, certains en pleine lumière depuis deux ans, d’autres depuis un an, depuis quelques mois, à mesure que les seuils de tolérance à l’intolérable sont dépassés. Nous le savons tous certainement ou confusément, désormais. Quelle que soit la situation sanitaire, c’est contre la civilisation numérique que nous devons lutter, pas à pas, radicalement. Ceux qui refusent de se résigner doivent forcément se battre.
 Ceux qui se battent en France ne réclament pas le passe vaccinal pour tous (!) mais son abolition pur et simple. Le maintien d’un tel système (alors que les mesures sanitaires sont en train d’être levées!) doit rassembler toutes les oppositions parce qu’il exacerbe les potentialités de surveillance et de profit déjà présentes dans les smartphones, en en rendant obligatoires les plus liberticides options. Ce qui rend tout le monde malade, c’est la conscience de n’être que des vaches à lait pour les GAFAM (auxquels s’ajoutent désormais les industriels de santé), le lait étant composé désormais de données de navigation, d’attention et d’argent (public).
Si l’état de nos âmes conditionne la tournure de la vie de la Cité, alors nous proposons de commencer par observer une ascèse personnelle, sorte d’exercice régulier que nous choisissons librement d’accomplir : elle viserait à freiner cette orientation dont nous saisissons tous facilement les conséquences délétères. Nous pouvons figurer cette tentative (ultime ?) de lutter contre le déferlement du malheur dans nos sociétés (plutôt que de ployer sous la tristesse ou l’anxiété) à l’aide de ce que l’histoire de la philosophie a nommé « le rasoir d’Ockham ». Philosophe logicien du XIVème siècle, Guillaume d’Ockham prend position dans la querelle des Universaux (que nous n’exposerons pas ici !) en érigeant en principe la règle suivante :

« Il est vain de faire avec plus ce qui peut se faire avec moins. »

Nous proposons d’appliquer ce principe dès que nous sommes conduits à utiliser un smartphone, une application, un objet connecté, un moyen de paiement, une interface… de manière à choisir en ayant conscience de ce que nous intégrons dans notre vie et de ce que nous refusons d’admettre dans notre existence. Nous sommes libres si et seulement si nous exerçons notre faculté de penser et d’agir : nous sommes maîtres de la technique dans la mesure où nous décidons d’y recourir ou non. Il est encore temps de choisir dans certains domaines, à de nombreux moments de la vie quotidienne, et nos choix peuvent réellement tout changer. Surtout si ensemble, nous sommes capables de refuser ce qui nous paraîtra inacceptable.
Exemples de casuistique quotidienne : me connecter sur marmiton.pub ou ouvrir le livre de recettes de grand-mère ? Faire un énième test à mon enfant pour vérifier qu’il n’est pas susceptible d’être contagieux alors qu’il n’a aucun symptôme ? Poster ma dernière trouvaille sur les réseaux ? Demander mon chemin à Google ? Accepter que toutes mes données médicales soient réunies dans un dossier numérique ? Montrer un passe vaccinal comme on sortait autrefois un ticket de métro ? Etc. Le monde que nous sommes en train de détruire par ces pratiques innocentes en apparence est le seul que nous ayons en commun. Il est plus que douteux que nous réussissions à en construire un autre.
Le rasoir d’Ockham se traduit en termes philosophiques par l’énoncé suivant :

 « les entités ne doivent pas être multipliées sans nécessité. »

Nous proposons que toute connexion soit soumise à ce crible de la pensée, qui comme un tamis ne retient pas tout mais seulement ce qui a une valeur pour chacun d’entre nous, selon son bon vouloir (et non par simple réflexe, conditionnement, habitude voire obligation). Nous n’en serions pas arrivés là si la critique de la technique qui s’enrichit depuis cent ans avait réussi à faire entendre deux simples remèdes contre les préjugés ambiants : non, d’une part, la technique ne dépend pas de l’usage que l’on en fait, elle est ambivalente et porte en elle du bien et du mal. Choisir l’utilisation de Facebook c’est prendre comme un tout la communication et la publicité, l’information et le traçage, la pollution et le CAC40. Non, d’autre part, Internet n’est pas comparable à un marteau : un système n’est pas un outil. Nous avons changé d’échelle et nous changerons bientôt de civilisation si nous ne prenons pas conscience de la responsabilité qui nous incombe.
Plutôt que de croire que ce que nous ajoutons au monde virtuel est un « plus », considérons que c’est au contraire un retrait du monde réel, que cet empiétement des univers connectés grignote notre monde concret, au point de vue énergétique, par l’attention que nous y accordons, par la dépendance à laquelle nous nous soumettons, dans une gigantesque entreprise de dévalorisation de nous-mêmes, de notre corps, de notre vie intérieure, des autres et de tout ce qui nous est cher, au profit d’un grand rien.
Qui, sinon chacun d’entre nous, peut poser des limites au néant ?

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